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Bibliographie | Histoire | ||||||||||
La guerre civile dans l'ouest Les volontaires républicains du 6ème bataillon de la Somme 1792 - 1795 Publié le 13 avril 2007 - Hervé Bennezon - Docteur en histoire moderne
Le destin de nombreux français a basculé pendant la période révolutionnaire. Dans maints villages, la jeunesse s’est engagée en masse pour défendre la République et ses acquis, et pour repousser l’invasion étrangère. Pourtant, le destin des volontaires républicains ne les attendait pas toujours là où ils le croyaient. Les registres paroissiaux et le minutier du village d’Hangest-en-Santerre (Somme), le registre de recrutement du 6e Bataillon de la Somme déposé au SHAT à Vincennes, les documents de la série L des Archives départementales de la Somme à Amiens, les sources qui m’ont permis de retracer le périple des volontaires anonymes qui se sont battus pour sauver la République. A la mémoire de Benoît Bennezon - frère du grand-père de mon arrière arrière grand-père - engagé volontaire dans les armées de la République le 13 octobre 1792.
A Hangest, chacun connaît déjà la situation à la frontière, les mouvements de troupes empruntant la Chaussée, une voie menant à Amiens et plus loin, vers le Nord, sont de plus en plus fréquents. Du reste, Marcel Demorcy, un Hangestois promu lieutenant au 3e Bataillon des Chasseurs à cheval, est venu passer quelques jours dans la commune. Il a enflammé l'esprit des paysans avec ses récits guerriers. Trois semaines après la proclamation de la République, le quart de la population masculine en âge de porter les armes, trente-huit villageois, signe un engagement au 6e Bataillon des Volontaires de la Somme. Parmi eux se trouve Benoît Bennezon. Comme son cousin, le commissaire Leroux, il est favorable au nouveau régime. Le registre du Bataillon mentionne la taille de la jeune recrue : « quatre pieds onze pouces » (un mètre soixante-trois). C’est un manouvrier de vingt ans, fils d’un maçon et d’une fileuse de laine. Il est analphabète, comme la plupart des ouvriers agricoles. Après avoir préparé un baluchon et fait leurs adieux, les soldats se mettent en route. Ils croisent alors d'autres bandes de jeunes gens venus de tout le canton d’Hangest. Eux aussi ont signé un engagement dans la Garde nationale. Une longue file d'hommes s'étire sur la chaussée menant à Amiens, rendue boueuse par les pluies automnales et la vingtaine de lieues séparant Hangest de la capitale picarde est rapidement franchie. La cathédrale apparaît au loin, puis les faubourgs de la ville et bientôt les volontaires parviennent aux Feuillants, une abbaye confisquée aux religieux. Il y a là environ six cents hommes auxquels les représentants de la République demandent d'élire les tambours et les gradés. Changement révolutionnaire que l’élection des cadres de l’armée ! Il faudra trois tours pour parvenir à élire Pierre-François Bisson lieutenant-colonel à la tête du Bataillon. L’homme a sans doute du charisme et il a fini par s’imposer comme étant le plus à même de mener les volontaires à la victoire. Le Bataillon comprend huit compagnies et les soldats originaires des villages d’Hangest et d'Arvillers sont versés dans la septième. Ils élisent alors capitaine le fils du maire d'Hangest, Dominique Benoist. A 28 ans, l’homme a déjà acquis une certaine expérience dans le métier des armes : c’est un ancien des Gardes françaises. Un cousin de Benoît, Toussaint Bennezon, est élu premier caporal. Les principales familles d'Hangest, les Bennezon, les Denizart, les Desachy, les Wable, comptent des soldats. Après toutes les nominations, au milieu des applaudissements et des exclamations enthousiastes, le lieutenant-colonel Bisson fait défiler les volontaires dans le plus grand ordre. Les volontaires témoignent du désir de partir au plus tôt voler à la défense de la République. 30 octobre 1792 Le citoyen Garçon père, marchand chapelier à Amiens, fournit les chapeaux des volontaires du 6e Bataillon de la Somme. Chaque couvre-chef est facturé cinq livres et dix sous. 1er décembre 1792 Le Bataillon de Benoît Bennezon est passé en revue. Le départ à la guerre approche. Les volontaires reçoivent de nouvelles piques et l'armement des chasseurs est renforcé de cinquante fusils procurés par la municipalité d'Amiens. L'officier chargé de l'escorte des bagages ne décolère pas : deux voitures à deux roues sont en effet bien insuffisantes pour contenir le matériel nécessaire à la subsistance de six cents hommes. Une troisième voiture est réquisitionnée par les soldats. 4 décembre 1792 Les volontaires sont partis, après s'être entraînés à Amiens pendant un mois et demi. Vêtus de vestes bleues à parements rouges, leurs pantalons sont blancs, parfois rayés de rouge à l'instar de ceux des Sans-Culottes parisiens. Ils portent le tricorne noir, orné de la cocarde tricolore. Les hommes sont armés de fusils, de sabres et de baïonnettes, et surtout de la « Sainte Pique de la Fraternité », lances en bois fabriquées à Montdidier et Moreuil (Somme). C'est pourquoi on appelle leur unité le premier bataillon des piquiers. La route paraît bien longue aux volontaires. La plupart d'entre eux n'avaient jamais quitté les abords immédiats du village. Le Bataillon fait d’abord halte à Doullens, une petite ville au nord d'Amiens, mais le repos est de courte durée et la marche reprend, harassante. Lorsque les volontaires parviennent à Lille, ils découvrent, effarés, la cité dévastée par soixante mille obus autrichiens. Mais Lille échappe à l’invasion, et les Picards reçoivent un autre ordre de marche. Janvier-février 1793 Le Bataillon est à l'arrière, à Béthune, dans le Pas-de-Calais, et déjà cinq jeunes d'Hangest l'ont quitté: le caporal Toussaint Bennezon s'est fait réformer, les fusiliers Claude Delaplace, Dominique Demal, Jean-Baptiste Fournet et Jean-François Morel ont déserté pour s'engager dans une autre unité, le 17è Bataillon des Fédérés. C'est à Béthune que meurent les premiers volontaires, le fusilier Jean-Baptiste Lajeunesse et le capitaine Pillon. Mars 1793 est un moment important puisque le Bataillon entre en Normandie. Il défile dans Caen puis, le mois suivant, à Cherbourg. La rébellion contre-révolutionnaire fait rage dans la Manche. Tout le monde ignore encore que la pacification de l’Ouest durera trois longues années. Printemps-été 1793 Les volontaires républicains sont cantonnés dans la Manche, aux environs de Saint-Vaast-La-Hougue, Valognes et Carentan, où ils sont attaqués par les « brigands », paysans normands fidèles au roi. La Convention engage plus de cent mille hommes dans l’Ouest. L'adjudant-major Nicolas Redez meurt près de Cherbourg. 3 septembre 1793 La 7e compagnie, dite « compagnie Benoist », du 6e Bataillon de la Somme, se trouve en garnison au Fort de la Liberté, près de Cherbourg [1]. Octobre 1793 Benoît Bennezon est cantonné en Bretagne, entre Rennes et Fougères, au moment où les quarante mille vendéens et chouans de l'Armée catholique et royale du prince Henri de La Rochejaquelein tentent de s'emparer du port de Granville afin de faciliter un débarquement anglais. Devant la supériorité numérique des royalistes, les soldats républicains s’enferment dans la citadelle. 12 novembre 1793 « Les Blancs », surnom donné aux partisans de Louis XVII en raison de la couleur du drapeau royal, par opposition aux « Bleus » républicains, prennent Avranches. La situation semble désespérée. Le Représentant de la République, Jean-Baptiste Lecarpentier a de bonnes raisons de ne pas tomber aux mains des brigands : c’est un Montagnard et il a voté la mort de Louis XVI au début de l'année. Il envoie le 6e Bataillon de la Somme, les Chasseurs d'Evreux, des Hussards et les Canonniers des Tuileries reprendre Avranches. Peine perdue, en route ils rencontrent les survivants de la garnison et rebroussent chemin. Bientôt, ils sont assiégés dans Granville. Fort de leur nombre, les quarante mille Vendéens donnent l'assaut aux cris de « vive Louis XVII ». Un tambour du 31e leur répond en jouant le « Ah, ça ira ! ». La bataille fait rage autour des remparts de la ville : royalistes et républicains se battent au corps à corps. Lors d'une charge particulièrement vigoureuse, les Vendéens s'emparent du faubourg Saint-Nicolas, situé à l'extérieur des fortifications. Du haut des murailles, l'artillerie ravage les rangs des assiégeants. Dissimulé dans une maison de la rue aux juifs, à Saint-Nicolas, le chouan Bézier, dit Moustache, tire sur les canonniers. Dix-neuf sont tués parmi lesquels un volontaire de la Somme, Jean-Charles Aubert. Un volontaire d’Hangest, le canonnier François Revel, se fait arracher l’index de la main droite par un biscaïen [2]. La prise de Saint-Nicolas gêne considérablement les Bleus dans leur défense. L'adjudant-général Vachot, du 31e de ligne, fait charger les Chasseurs d'Evreux contre Stofflet et ses Vendéens. Les Républicains utilisent de la poix enflammée, incendient les granges, charrues et masures du faubourg. Devant le tourbillon de feu, les Chouans battent en retraite, mais l'incendie menace de gagner la ville assiégée, aussi lâchant leurs armes, les Républicains font-ils la chaîne avec des seaux d'eau que leur passent les Granvilloises. La force étant sans effet, les chefs de l'Armée catholique tentent de parlementer et envoient un maréchal-ferrant du voisinage porter un message au conseil municipal. La Rochejaquelein promet la vie sauve aux Républicains : ils seront traités ainsi que de bons et loyaux sujets du roi s'ils se soumettent. Transmis aux assiégés, l'ultimatum génère l'exaltation des révolutionnaires. Les volontaires de l'An Deux, tels des héros antiques, refusent la honte de la reddition et répondent au prince poitevin aux cris de « vivre libres ou mourir ! » et de « vive la Nation ! ». De part et d'autre, des salves de mousqueterie réduisent les forces des combattants. Soudain, des milliers de Bretons et de Vendéens montent à l’assaut en hurlant. Les Républicains résistent vaillamment. Surpris par tant de courage, les Royalistes reculent. Dans leurs rangs, quelqu'un clame : « sauve qui peut, nous sommes trahis ! », et c'est la débandade. Les Blancs fuient. Les cadavres de deux cents Bleus gisent sur le lieu de la bataille mais ce sont dix fois plus de corps royalistes qui jonchent les fossés et les alentours du port. 12 décembre 1793 l'Armée catholique et royale en pleine déroute, retardée par les blessés, les femmes et les enfants, tente de regagner la Vendée. Rattrapée, elle est massacrée par les Républicains des généraux Tilly et Westermann au Mans. Voilà un extrait du rapport envoyé par Westermann a la Convention : « Il n'y a plus de Vendée ! Elle est morte sous nos sabres libres, avec ses femmes et ses enfants... J'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes, qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront pas de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher ; les routes sont semées de cadavres. Nous ne faisons pas de prisonniers, la pitié n'est pas révolutionnaire ». Quinze mille Chouans ont été massacrés au Mans. 23 décembre 1793 les survivants de l'armée royaliste sont exterminés à Savenay. L'insurrection est terminée. Le lendemain, les troupes républicaines, parmi lesquelles le 6e Bataillon de la Somme, entrent victorieusement dans Nantes. Kléber, Marceau, Westermann et Tilly sont acclamés par la population. En deux mois, quatre-vingt mille Vendéens ont été tués. Année 1794 Afin de surveiller la région, le Bataillon retourne s'installer aux environs de Fougères. La compagnie de Benoît Bennezon est cantonnée à Combourg, dans le château des Chateaubriand. Au cours de l'année, de nombreux volontaires décèdent dans les hôpitaux militaires d’Ernée, Dol, Vitré et Rennes, mais le 10 juin 1794, les Picards subissent de lourdes pertes : ils tombent en effet dans une embuscade à Bonnoeuvre (Voir les recherches sur ce sujet). Sur les cinq à six cents hommes de leur bataillon, il y a eu trente-cinq tués dont le lieutenant-colonel François Bisson, commandant en chef des volontaires. Il sera remplacé à son poste par le lieutenant-colonel en second, Pierre Théo. 7 prairial an II La 7e Compagnie est cantonné en la ville d’Ernée (Mayenne) [3].. Janvier - juin 1795 Les volontaires surveillent les environs de Nantes et de Machecoul, qui demeure deux ans un repaire de brigands. Achevée en avril, la guerre reprend en juin lorsque les Emigrés, aristocrates réfugiés en Angleterre, débarquent près de Quiberon. Hoche devient le généralissime des forces républicaines. Juillet 1795 Le 6, l'armée des Emigrés débarque sur les plages de Carnac et se replie dans la presqu'île de Quiberon afin d'y consolider ses positions. Mais l'armée du général Lazare Hoche l'enferme dans une double haie de tranchées. Le 16, les Royalistes tentent l'assaut, mais ils sont fauchés par les canons républicains. Le 22 juillet, les Emigrés, enfermés dans la souricière de la presqu'île, sont attaqués par deux mille volontaires nationaux. Ils se battent jusque dans la mer et les fusils ne fonctionnent plus. Les combats se déroulent alors à la baïonnette, devant les navires anglais incapables d'appuyer leurs alliés. Les Royalistes se jettent en masse dans les chaloupes, s'en disputent l'abord avec frénésie, les font chavirer. La République est maîtresse d'un riche butin, six bâtiments chargés de rhum et d'eau-de-vie, et dix mille prisonniers, parmi lesquels sept cent cinquante nobles, prêtres et chouans. Tous seront fusillés à Auray. Le 6e Bataillon de la Somme déplore un mort lors de la bataille. Cinq jours avant « l’affaire de Quiberon », les volontaires de la cinquième compagnie du sixième Bataillon de la Somme, commandée par le capitaine Benoît Vincampt, ont adressé un courrier à la Convention : « Nous avons fait la guerre de la Vendée, nous avons vaincu, nous la ferons à tous nos ennemis et nous vaincrons. Nous le jurons sur les armes que la Patrie a remise entre nos mains, nous ne souffrirons pas que les côtes de la Manche soient infestées par les ennemis du gouvernement républicain : nous veillerons à la sûreté des propriétés individuelles et nationales, nous défendrons le paisible agriculteur, nous l'aiderons même dans ses travaux, sans négliger le service. Législateurs, de la fermeté, nous vous soutiendrons de toutes nos forces ». 23 septembre 1795 Une partie des survivants du bataillon est versée dans les 62e et 68e de ligne, mais Benoît Bennezon n'en a pas fait partie. Au contraire de ses camarades, il n’est jamais retourné dans son village. Dans l'état actuel de mes recherches, j'ignore quel a été son destin.
[1] A.D.S., 3 E 11951. Achat de biens nationaux par Marie-Cécile Floury, épouse d’Honoré Cailleux, lieutenant au 6e Bataillon de la Somme, 3 septembre 1793. Hervé BENNEZON
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